Que faire ?
Je suis de retour à Chiang Mai depuis quelques jours. Hier, c’était la pleine lune : une certaine agitation dans l’air. Pour l’instant, je n’ai pas envie de faire grand-chose, je ressens une profonde lassitude ; mais je suis quand même agité dès le matin : c’est le paradoxe. J’ai même de la peine à me forcer à trouver un peu de temps pour méditer. J’ai tendance à vouloir terminer d’abord les choses à faire, pas vraiment urgentes, mais qui mettraient un peu d’ordre en étant faites. Par exemple, lire les piles de magazines et autres documents pour que ma table soit plus dégagée ; liquider les choses qui sont sur mes listes, même si, avec ma nouvelle organisation, il n’y en pas tellement. Ainsi, j’aurais la conscience tranquille : j’aurais fait ce que je me demande de faire, rempli mes engagements avant de prendre le temps de faire des choses pour moi ; celles qui sont vraiment importantes, comme méditer, peindre, jouer de la musique.
Toutes ces petites choses pas vraiment importantes ni urgentes remplissent le temps. J’ai l’impression de faire quelque chose d’utile. Si elles étaient toutes finies, je me retrouverais seul face à moi-même, au vide de l’existence ; comme lorsque je suis dans un endroit où je dois attendre, ou rester un moment sans livre ni rien pour m’occuper. Que fais-je ? Je me promène aux alentours, ou je m’assieds et attends. Parfois, je récite des mantras, ou je pense. Mon problème est de toujours avoir quelque chose à faire pour m’occuper. Même lorsque je suis en retraite, je passe mon temps à faire des pratiques, et finalement je suis très occupé. Ce n’est ni la solution ni le wu wei*. Ce qui serait plus proche du wu wei, c’est la non-méditation : juste laisser mon esprit dans son état naturel, sans intervenir. Mais où faut-il pratiquer cette simple présence ? Dans un endroit animé, où il y a des tas de choses à voir et à entendre, ou face à un mur ? Le tout est de ne pas se laisser distraire par les perceptions, qu’elles soient extérieures dans un endroit animé ou intérieures en face d’un mur. Voilà la pratique quotidienne, même si elle n’est pas facile.
Ce matin, je vais répondre aux mails. Ensuite, que faire de cette belle journée qui commence ? Attaquer la peinture, ou au moins préparer mon matériel : peut-être ? Continuer les peintures de guérison ? C’est de nouveau « faire », bien sûr ; et me sentir bien d’avoir fait quelque chose d’utile (pour qui ?), ou au moins de créatif. Pourquoi la création artistique est-elle importante ? Parce que c’est une manifestation consciente de la création universelle. Dans ce monde, tout est création : une création spontanée, qui donne naissance au flux constant de la vie. Il faut apprendre à rentrer dans ce flux, nous laisser porter par lui, afin de lui permettre de créer le monde à travers nous. C’est une manière de sentir que nous faisons partie du tout, de la nature, de la vie ; au lieu de nous sentir isolés, comme des spectateurs, oisifs ou agités, mais séparés de la création.
* Wu wei (chinois) : littér. ne pas faire, non-action. Le wu wei est une philosophie de vie prônée par les taoïstes, qui consiste à s’abstenir de toute intention d’accomplir quoi que ce soit. Le pratiquant du wu wei se contente de suivre le flux de la vie en répondant spontanément aux besoins et aux demandes qui se présentent.
14 octobre 2000, Chiang Mai